ANARCHIE ET POUVOIR
Du questionnement fondamental de l’anarchisme :
ORDRE ET POUVOIR
"L'anarchie, c'est l'ordre sans le pouvoir."[1]
Cette phrase que l'on attribue à Pierre Joseph Proudhon illustre une méprise fondamentale de la philosophie anarchiste que nous retrouvons dans le titre du livre de Normand Baillargeon: "l'ordre moins le pouvoir"[2]
Il est signifiant que la mémoire, idéologiquement déterminée, ait retenu cet élément accréditant la thèse de l'anarchie comme absence de pouvoir puisqu’en effet : "L'ordre de l'idéologique et l'ordre du pouvoir traversent de part en part une société."[3]
La définition de l’anarchie, la plus souvent émise par l’idéologie dominante, historiquement variable, établira donc un lien négatif entre pouvoir et anarchie, se calquant sur l'antinomie: ordre et désordre:[4]
« Le peu de référence que nous faisons à ce dernier [l'anarchisme] ne signifie pas que nous ne le croyons pas passible de critique, mais tient uniquement au peu de connaissances que nous avons à son sujet. »[5]
L'idéologie aurait pu retenir cette citation de Proudhon : "La plus haute perfection de la société se trouve dans l'union de l'ordre et de l'anarchie."[6] ou celle d'Elisée Reclus "L'anarchie est la plus haute expression de l'ordre"
Dernier avatar de ce confusionnisme conceptuel: " Changer le monde sans prendre le pouvoir ».
A défaut d’une définition bien étayée et d’assumer l’existence du pouvoir en toute société, ressort la périlleuse différenciation entre le pouvoir-action (potentia) et le pouvoir-domination (potestas) assortie d’une argutie des plus subtiles pour expliquer la confiscation du pouvoir-faire par le pouvoir-domination. [7]
En l’absence d’une analyse efficiente du lien entre le pouvoir social et le pouvoir politique, la croyance en une société sans pouvoir va prendre l’ascendant théorique et va empêcher la philosophie anarchiste de prendre toute sa place dans la philosophie politique.
L'ordre moins le pouvoir induit implicitement une dissociation des termes. Cette rupture a conduit à exclure le politique du champ de l'anarchisme alors que l'anarchisme a eu comme constante préoccupation le contrôle du pouvoir.
Voyons plus en profondeur, les prémisses de cet égarement conceptuel.
[1] Pierre Joseph Proudhon, les confessions d'un révolutionnaire pour servir à l'histoire de la Révolution de Février
[2] Normand Baillargeon ,l'ordre moins le pouvoir, p 16
[3] Sémiosis de l'idéologie et du pouvoir In: Communications, 28, 1978. Idéologies, discours, pouvoirs. pp. 7-
[4] Eduardo Colombo Anarchie et anarchisme, Réfractions n° 7
[5] Michel MAFFESOLI, la conception de l'État chez Marx dans Logique de la domination, Paris, PUF, 1976. p. 172, note n°3.
[6] Pierre Joseph Proudhon Qu'est-ce que la propriété? (1840)
[7] Revue ContreTemps, numéro six, février 2003. Changer le monde sans prendre le pouvoir ? Nouveaux libertaires, nouveaux communistes.